Sept cuisinières sont à peler des pommes de terre. Elles discutent, se querellent pour des petits riens. Ces cuisinières représentent la société humaine, féminine, dans toute sa diversité, dans toutes ses qualités et ses travers, de manière intemporelle : pimpante, bedonnante, véhémente, bougonnante, barbante, pensante et pédante. La pièce n’est en effet pas datée et à aucun moment on ne sait à quelle époque la pièce se joue. Les cuisinières non plus. Elles mentionnent des faits passés ou à venir et peuvent rappeler à certains égards les sorcières de Macbeth.
Entrent en scène quatre soldats, des bourreaux en réalité, qui émerveillent ces sept cuisinières. Ces soldats sont également à l’image de la société masculine et patriarcale. Ils accompagnent une jeune femme, Sophie, qu’ils vont visiblement exécuter sous les commentaires francs et impitoyables de ces cuisinières. Deux autres Sophie viendront s’ajouter à la première. Ces trois Sophie, héroïnes historiques et de cette pièce, font face à leurs bourreaux, aux commentaires des cuisinières et à leur destin.
Il s’agit de Sophia Magdalena Scholl (1921-1943), grande résistante allemande et exécutée par les nazis en compagnie de son jeune frère ; de Sofia Lvovna Perovskaïa (1853-1881), militante politique russe d’origine aristocratique et première femme condamnée à mort pour raisons politiques, en l’occurrence l’assassinat du Tsar Alexandre II ; de Marie-Sophie Germain (1776-1831), grande scientifique française qui se heurta à l’opposition violente des hommes et de l’environnement de son époque, et qui, pour parvenir à se faire entendre de ses collègues contemporains, se fit notamment passer pour un homme.
Cette pièce attire l’attention dès sa prise en main par le parti pris formel qui est un acte volontaire de l’auteure : pas de didascalies, pas de présentation des personnages, pas de découpage de la pièce en actes ou en scènes. Elle est d’un seul tenant. Ne s’y trouve aucune majuscule, aucun point, qu’il soit final, d’exclamation ou d’interrogation. Cette absence singulière donne au texte une fluidité sans pareille. Ainsi qu’une absence totale de hiérarchie et de jugement de la part de l’auteure. C’est l’écriture de Simona Semenič.
Les personnages de la pièce apparaissent donc comme égaux, que ce soit les sept cuisinières, les quatre soldats ou les trois Sophie. Il n’y a aucune hiérarchie entre eux, pas même chronologique entre ces trois Sophie qui sont pourtant toutes trois des personnages historiques d’époques différentes. Il n’y a même plus de distinction entre fiction et réalité historique. Les trois « blocs de personnages » interagissent de façon surprenante et forment comme une trilogie unique, agissant en miroir de notre société, nos folies, nos égarements, notre humanité. Il n’y a pas non plus de frontière entre réel et irréel, entre langage parlé et poétique. La mort elle-même devient incertaine.