T’as bougé, requiem pour un enfant sage

de Franz Xaver Kroetz

traduit de l'allemand par Pascal Paul-Harang et du par Mikaël Serre

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Allemagne
  • Titre original : Du hast gewackelt, Requiem für ein braves Kind
  • Date d'écriture : 2004
  • Date de traduction : 2007

La pièce

  • Genre : Drame
  • Décors : Unique. Un café de la gare, province ; bruits de gare.
  • Nombre de personnages :
    • 6 au total
    • 4 homme(s)
    • 2 femme(s)
  • Domaine : Protégé : L'Arche éditeur

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

On peut lire en épigraphe de la pièce de Franz Xaver Kroetz : « C’est le crime de Burbach à la brasserie Toscaklause qui m’a amené à écrire cette pièce. Personnages et situations sont purement fictifs. » L’auteur s’est en effet inspiré d’un « fait divers » survenu en Allemagne en 2001. Un enfant de cinq ans, Pascal Zimmer, a été abusé par un groupe de pédophiles, tous clients de la même brasserie dans les environs de Saarbrücken, avant d’être assassiné. Son cadavre n’a jamais été retrouvé. Ses bourreaux ont été jugés et condamnés en 2004.

Le personnage principal est le petit Pascal. Il n’apparaît jamais : il est mort. Son histoire est racontée selon des points de vue différents. Toute la pièce tourne littéralement autour de lui. L’auteur propose d’ailleurs un dispositif scénographique spécifique. Le centre de la scène est occupé par un comptoir de bistro autour duquel tourne le manège des tables comme les chevaux de bois autour du limonaire. Sur le côté, la porte des toilettes. « Tout est d’une densité cauchemardesque, non réaliste, un mélange de bistro et de manège ! »

La pièce fonctionne comme une série de monologues et de chœurs des clients. Ces gentils « tontons » soliloquent la plupart du temps. Mais ils prononcent aussi les mots de leur victime. Cette litanie brouille la perception de l’auditeur qui ne sait pas toujours qui parle, le coupable ou la victime. En chœur, ils débitent comme un moulin à prières les événements, les excuses, les détails, les tentatives de justification. Le chœur est pour ainsi dire le dénominateur commun des différents personnages, la musique de fond de ce triste carrousel. Il est le cercle vicieux.

Chaque tonton se défend, chacun raconte « son » histoire avec « son » Pascal. Au fur et à mesure, les personnages s’empêtrent dans leurs contradictions et dans leur vaine recherche d’un autre coupable qu’eux. Mais T’as bougé n’exhibera aucun coupable. La pièce est bien plutôt occupée à montrer comment tous, coupables et victimes, sont à la recherche de la même chose : l’amour.

Regard du traducteur

Kroetz met le doigt sur les inégalités sociales en nous présentant les coupables et leur « crime à motivation sexuelle ». Il nous place aussi dans la peau de la victime, dans l’âme d’un enfant, mais aussi dans celle des deux femmes complices, une mère qui a perdu pied et la patronne du café qui détourne les yeux car il lui faut bien des clients pour vivre. Le regard de Kroetz est sans complaisance et le spectateur est contraint de voir.

La réalité, personne ne la connaîtra. Il y a pourtant tellement de réalité dans cette pièce ! Mais qui a envie de l’entendre, de la voir d’une façon aussi crue ? La langue, si typiquement kroetzienne, parce qu’elle est éminemment théâtrale, nous astreint à une écoute généreuse.

Ce texte est un tour de force à plus d’un titre. Il évite d’abord un piège majeur : il ne cherche pas à se substituer à l’instance judiciaire. Sa vocation n’est pas de fournir une morale bien pensante, apportant au spectateur la confirmation qu’il se trouve bien du bon côté. En outre, malgré la dureté de certains propos, pas tant leur crudité que l’abîme qu’ils dévoilent, l’œuvre de Kroetz semble étrangement pudique. Elle semble, tel le moulin, laisser couler une eau utile. L’étrange litanie des monologues et des chœurs – pas le moindre dialogue de toute la pièce – nous place dans une écoute spéciale. La douleur semble devenir la nôtre ; la cruauté nous traverse comme si, aussi, elle était nôtre.