Un Noir se tient devant une magnifique villa quelque part en Israël, le regard obstinément posé sur ses habitants. Intriguée, puis sérieusement déstabilisée, Maya prie son mari Élias de « faire quelque chose » : il est toujours là, il bloque la vue vers les collines, il gâche la beauté du paysage. Comment rester serein, comment vivre, quand il y a un Noir dans le jardin ?
La peur de l’autre et les démons qu'elle engendre sont au coeur de la pièce. Qui est ce Noir surgi de nulle part comme par magie ? Que veut-il ? Pourquoi reste-t-il muet quand on l'interroge ? Shlomo, pour qui ce Noir n'est que le premier d'une immense vague à venir qui submergera le pays tout entier, mais aussi pour « rendre service » à ses riches voisins et peut-être en tirer un avantage, va un jour passer à l'acte et tabasser l'intrus. Le Noir, très mal en point, se retrouve à l'hôpital. Méni, un médecin qui a travaillé dans une ONG en Afrique de l'Est, le soigne avec dévouement. Faute de connaître son nom, il l'a surnommé Abou Samir. Grâce à lui, Maya apprendra l’histoire tragique de ce Noir venu à pied, comme tant d’autres migrants, pour chercher du travail ou un refuge en Israël. Sa vie s'en trouvera bouleversée.
Dans cette pièce écrite sur fond de guerre au Moyen-Orient et, plus généralement, de puissants mouvements migratoires dans le monde, Gilad Evron s’interroge sur la responsabilité que les êtres humains ont les uns envers les autres. Peut-on continuer à ignorer ce qui se passe de l'autre côté de nos frontières et imaginer que cela n’aura pas d'impact sur nos vies ?
Tout en étant ancrée dans la réalité quotidienne d'Israël, cette pièce tend un miroir à nos sociétés repues, indifférentes, aveugles ou ouvertement hostiles à ceux qui viennent frapper à leurs portes. À défaut d'une langue commune, ou de langue au sens propre du terme puisqu'un réseau de passeurs a coupé celle du migrant, le conflit revêt la forme d'une confrontation des regards, tandis que, à la manière de la tragédie grecque, la violence meurtrière se déroule hors scène.
Nolens volens, le public, c'est-à-dire nous, les spectateurs, sommes entraînés dans ce face-à-face et en devenons le témoin, grâce à un dispositif scénique minimaliste, mais d'une remarquable efficacité. Un store se lève et se baisse au fil de l'intrigue. Non seulement il partage l'espace entre un « dedans » et un « dehors », un « ici » et un « là-bas », un « entre-soi » et « les autres », mais, tour à tour ouvert ou fermé, il change la perspective, celle des protagonistes et la nôtre, nous bouche la vue ou au contraire nous oblige à voir et, peut-être, à prendre conscience de l'humain en chaque homme et de notre impérieux devoir de solidarité.