Résumé
Dans un pays il y a une guerre. Dans un pays il y a deux personnes. Une vieille victime d'elle-même plus son fils qui ne parle presque jamais (…). Plus les soi-disant amis, plus les soi-disant voisins et le soi-disant amour, la mort, l'inattendu et tout le reste. Dans un pays il y a. Des personnes qui survivent à la guerre. A la guerre faite pour l'eau, à la guerre faite pour survivre non pas pour voler la terre ni pour voler des drapeaux ni pour rendre les quatre coins d'un pays plus beau et plus grand qu'avant. Dans un autre pays de notre temps, il y a une tombe. Il ne reste qu'elle, à la fin de la guerre. Je dirai même des guerres, si ça n'était pas teinté de morale (…) Un pays devient sa propre tombe, tombe de la chair qui l'habite. (…) C'est l'histoire. D'un pays de notre temps. D'un pays qui s'avale lui-même ses chiens dans sa chair. (…) (Extrait de L. Russo)
Regard du traducteur
Ce qui nous a frappé de prime abord à la lecture de Tomba di cani, c'est avant tout la puissance dramaturgique et poétique de l'écriture. En effet, celle-ci, plus qu'un support au service de l'histoire, participe activement du même souffle tragique : à la cruauté de l'histoire, correspond une écriture dense et heurtée dans sa syntaxe, au dénuement et à l'attente qui règnent en maîtres, correspond une écriture décharnée et répétitive comme les jours qui se succèdent et se ressemblent.
La langue de Letizia Russo, dans sa radicalité, son épure, mais aussi son extrême violence, porte en elle l'empreinte des textes de Sarah Kane, mais aussi de Lars Noren. L'univers et les personnages de Tomba di cani ne sont pas sans rappeler en effet ceux de Guerre de Lars Noren : un no man's land non identifié en état de guerre, où des êtres mutilés subissent l'attente, la faim, la trahison, ou se subissent simplement eux-mêmes.
Comme chez Lars Noren, nous sommes ici dans un registre tragique où les références d'ordre mythologique, biblique, présentes aussi bien au niveau du récit et des personnages que de la forme même de l'écriture, se mêlent à une extrême modernité. Le personnage de Glauce, cette vieille femme qui s'est crevé les yeux et qui siège sur une chaise roulante comme sur un trône, incarne une sorte d'ådipe féminin contemporain ; le personnage de Luther, qui revient de guerre, du royaume des morts, la tombe des chiens, rappelle à la fois le retour d'Agamemnon ou celui d'Ulysse, mais aussi le retour du père dans Guerre de Lars Noren.
L'auteur puise également dans la culture biblique en lui empruntant la tournure stylistique de l'anaphore, comme pour mettre en valeur la dimension universelle de son récit, mais aussi pour figurer simplement le caractère inéluctablement répétitif de l'Histoire. Néanmoins, en représentant une guerre, non plus faite pour des terres, mais pour l'eau, symbole de vie, il ne fait pas de doute que Letizia Russo s'attaque bien au monde d'aujourd'hui, induisant ce qui pourrait le guetter.
La force de l'écriture de cette jeune auteur tient en ce défi, qu'elle relève admirablement, de raconter une histoire avec des armes poétiques, métaphoriques et symboliques très fortes. Pas d'actions ou très peu, mais des situations d'une très forte tension dramatique, tissées par des personnages un peu fantomatiques, comme déjà absorbés par la mort.
Ici, le langage a perdu sa fonction de communication à l'autre. Il n'est plus qu'un moyen de survie, le seul qui leur reste. E n ce sens, Letizia Russo fait partie de ces auteurs dont la rigueur et l'apparente aridité participent d'une pensée très précise qu'il est important de respecter, comme une grammaire ou une partition musicale.