La pièce décrit le parcours accidenté de Kayode, jeune homme né au Nigéria quelque trente ans plus tôt et arrivé tout bébé en Angleterre où il réside toujours en compagnie de sa femme, Kikiope, elle-même d’ascendance nigériane mais n’ayant jamais vécu dans le pays de ses ancêtres et un peu trop occidentalisée, au goût de sa belle-mère, Layo…
Pour l’heure, le sort semble s’acharner contre le jeune homme. Après de brillantes études, voilà bientôt sept ans qu’il essaie de se lancer dans la vie professionnelle sans pour autant jamais vraiment y parvenir. Il a beau multiplier les entretiens d’embauche, rien n’y fait : il est la plupart du temps sans emploi et tourne en rond, tout en songeant sans trop y croire à l’œuvre caritative qu’il voudrait tant créer, un jour… plus tard… dans un improbable avenir meilleur… tout cela en vain, et sa vie se dilue dans le néant des jours et des rêves différés.
Ses proches s’en inquiètent : décidément il semble sombrer dans ce qui ressemble bien à de la dépression aux yeux de la pragmatique Kikiope, laquelle le conjure d’aller consulter un psychiatre.
De son côté, Layo, est persuadée que, depuis sa naissance au Nigéria, son fils est victime d’un sort et le confie aux bons soins de Matanmi, pasteur « évangélico-charismatique » aux forts relents de charlatanisme, lequel entreprend de l’exorciser avec la participation enthousiaste de Layo et celle nettement plus sceptique de Kikiope.
Kayode pour sa part, refusant de s’avouer déprimé et persuadé d’être effectivement victime d’une malédiction, commence par se lancer à cœur perdu dans l’aventure de l’exorcisme. Mais très vite, il se sent désabusé et cherche secrètement du réconfort auprès d’Itan, interlocutrice imaginaire (visible pour les spectateurs, mais invisible pour les autres personnages de la pièce)… reflet féminin de lui-même, sœur de sang, sœur de rêve avec laquelle il échange dans une langue inventée, le Shukabhembemian. Cette langue que seuls lui et Itan comprennent pourrait bien être la langue secrète de son être intime qu’il n’arrive pas plus à exprimer dans l’anglais de son « pays d’accueil » que dans des langues africaines restées pour lui lointaines et étrangères à quelques mots et balbutiements près.
Itan, quant à elle, pourrait représenter pour Kayode sa part d’africanité enfouie qu’il voudrait retrouver et préserver en lui, l’affirmation d’une appartenance ancestrale occultée, d’une lignée passée sous silence mais ne demandant qu’à ressurgir.
Au bout du compte, même s’il finit par se délester de la présence d’Itan devenue lassante à force de vouloir décider pour lui et de convoquer à grand bruit les sorciers et les magiciens de Lagos lorsqu’il s’avise de lui résister, c’est sans doute grâce à la fréquentation de celle-ci qu’il pourra se réconcilier avec lui-même, trouver son propre chemin et sortir de l’océan glauque de ses cauchemars et de ses peurs : en bref se remettre debout sans l’aide de personne et enfin trouver un certain goût pour la vie ainsi que son premier vrai travail depuis de nombreuses années.
Sous des apparences de réalisme magique, un vigoureux plaidoyer pour le droit à une vie normale de tous les citoyens de nos pays occidentaux venus d’ailleurs. Un acte politique en somme auquel je me réjouis de participer.