La pièce Wonnangatta reprend le récit du crime non élucidé le plus célèbre d’Australie.
En 1917, Jim Barclay, qui s’occupe de ses troupeaux sur un domaine dans une région montagneuse du bush, isolée et difficile d'accès – à Wonnangatta –, est retrouvé mort par Harry, l’ami qui vient une fois par mois lui apporter son courrier. Son cadavre est découvert par Harry et son camarade Riggall (appelé à la rescousse pour résoudre le mystère de la disparition) dans la rivière à quelques centaines de mètres de la ferme, enterré jusqu’au cou, la tête dévorée par les chiens sauvages.
Harry, qui n’a jamais aimé Bamford, engagé récemment par Barclay comme cuisinier et valet de ferme tout à la fois, le soupçonne d’avoir fait le coup, et se met aussitôt en quête du bonhomme, accompagné de Riggall. Après une longue chevauchée dans une nature hostile, ils atteignent le lieu de résidence de Bamford – pour le découvrir mort lui aussi, son corps jeté derrière un tas de bois. Durant leur difficile et périlleux trajet, outre l’incroyable description de la nature, nous suivrons le questionnement des deux hommes, leurs tentatives pour élucider le mystère, et verrons grandir la nécessité pour Harry de trouver un coupable, et l’inquiétude de Riggall face à cette nécessité.
Ce double meurtre n’a jamais été élucidé.
Cerini nous raconte cette histoire dans une langue rurale et poétique (on retrouve les rythmes et l’économie de la langue de L’Arbre à sang), l’histoire est à la fois vécue et restituée par deux protagonistes, le suspense est permanent, la construction et l’écriture sont remarquables, tout se raconte par le dialogue, la narration se fait action. Les deux personnages font avancer le récit par le dialogue mais un troisième personnage est infiniment présent et menaçant : la nature, violente, hostile, contre laquelle les deux luttent pour arriver au bout de leur enquête – jamais je n’ai vu une pièce où la simple (pas si simple) description du paysage traversé devient en elle-même l’enjeu dramaturgique. Et à mesure que les personnages luttent contre la végétation, la montagne et le climat, ils en sont transformés. Les acteurs sont tour à tour ou à la fois dans le récit et dans la situation, mais on est aussi dans leur tête, tandis qu’ils essayent de démêler le mystère et de faire avancer l’action. De conversation en description, de versification en associations, tout est dans les sonorités et la puissance des mots. C’est bien là que réside toute la difficulté de traduction : musicalité, concision, économie, rythme – sans compter la nécessité de trouver un parler de taiseux, une ruralité sans caricature –, c’est tout cela qui participe de la théâtralité de sa langue.