Les Meyerbeer et les Bouman : ce sont les deux dernières familles blanches – du monde, a priori. Elles se partagent la scène, l’une à Cour et l’autre à Jardin. Elles se haïssent depuis toujours, porteuses d’une haine intergénérationnelle dont plus personne ne connaît l’origine. L’intrigue est une réécriture de celle de Roméo et Juliette, déplacée dans un contexte futuriste et dystopique, dans un temps de dévastation post-apocalyptique où la misère règne et où la loi du plus fort semble régir les rapports humains. Le fils Bouman, Lucien, s’en est bien sorti, il dirige un commerce plus ou moins net mais prospère. La famille Meyerbeer, en revanche, est aux abois.
Lucien affronte son père et dépasse la querelle qui l’oppose aux Meyerbeer pour demander leur fille, Angélique, en mariage. Il compte, ce faisant, éviter l’extinction de la race blanche. Pour atteindre Angélique, il s’allie à la mère de celle-ci, Christine, qu’il tire de la dépression et de la famine en lui offrant un emploi de secrétaire. Celle-ci endosse alors le rôle d’entremetteuse auprès de sa fille que Lucien dégoûte et effraie. Le frère et le père d’Angélique, Arnaud et Machine, eux, voient cette union du plus mauvais œil.
On assiste donc au fil des scènes aux intrigues de Christine et Lucien, aux remontées de haines et de ressentiments entre les pères de famille, pour aboutir au dénouement tragique : le viol orchestré d’Angélique par Lucien, puis sa mort, tuée sous les coups de son frère qui la sauve ainsi du déshonneur.
Cette pièce surprend par la dichotomie entre sa stature classique, d’une part, et son côté provocateur et iconoclaste, d’autre part. Les règles de la tragédie classique sont respectées, et les personnages et les dialogues se déroulent de façon assez réaliste. On se trouve peu à peu pris dans l’engrenage et la surenchère de la violence des rapports, des personnages et des situations, tout en suivant les étapes d’un découpage attendu et conventionnel (exposition, nœud, dénouement, coup de théâtre). Le pastiche futuriste de Roméo et Juliette, exercice de style que l’on reconnaît assez rapidement, devient le prétexte au déploiement d’une fable cruelle sur le racisme et le machisme structurels et systémiques de notre époque. Autre singularité, cette pièce joue de façon exacerbée avec les représentations apocalyptiques de l’avenir qui caractérisent notre époque et ses représentations, tant cinématographiques que littéraires et théâtrales. En s’affranchissant de tout vernis politiquement correct, Alex van Warmerdam met crûment à jour le fascisme quotidien qui irrigue notre culture et nos représentations du monde, avec un humour noir, sans didactisme ni militantisme.