Les revoilà : Agamemnon, Clytemnestre, Egisthe, Cassandre, Electre, Iphigénie, Oreste.
Ils dormaient. Ils se réveillent et entrent en scène un par un. Ils vont devoir rejouer leur histoire une fois de plus, au théâtre, dans quelques instants. Vont-ils le faire ? Ils s’affrontent violemment. Electre et Clytemnestre sont satisfaites de cet éternel retour, du rôle qu’on leur fait jouer ; les autres, à des titres divers, souffrant du poids de ce destin qui les condamne à tout revivre indéfiniment, ont décidé d’y échapper. Ils vont finir par s’entretuer, mais pas conformément à la légende officielle : Egisthe étrangle Electre, Clytemnestre poignarde Cassandre avant d’être tuée par Agamemnon, Oreste se suicide, et tandis que tout se complique (certains d’entre eux jouant le rôle d’un autre), les survivants sont tués par la Nourrice, qui sera elle-même tuée par les quatre Femmes, lesquelles sont en fait les Erinyes. Quand on vient chercher les Atrides, ils sont tous morts. (Mais peuvent-ils mourir ?)
Pourquoi vouloir traduire Dévastation ?
D’abord, Dimitriàdis s’affirme sans cesse davantage comme l’une des voix les plus fortes, les plus dérangeantes aussi, du théâtre actuel, toutes langues confondues. Le traduire est une expérience précieuse : au bonheur de s’affronter à un texte riche et profond, superbement écrit (c’est de la musique !), s’ajoute celui de travailler avec un auteur exigeant, qui sait parfaitement ce qu’il fait, qui contrôle tout, mais qui par ailleurs a suffisamment traduit lui-même pour bien traiter son traducteur, avec une alliance idéale de rigueur et de souplesse.
Ensuite, Dévastation est l’une de ses pièces les plus fascinantes — il y attache lui-même une importance particulière. On y trouve, comme toujours chez lui, de l’excès, de la violence, de l’horreur, de l’imprécation, de l’incantation, une parole ressassante jusqu’à l’obsession, toute proche du chant. Mais ce qui rend la pièce plus ambiguë encore, et donc plus troublante, c’est qu’elle combine un vrai souffle tragique et ce qui pourrait passer pour du comique. Nous sommes les témoins d’un vrai désespoir et en même temps de sa dérision. Le mythe est magnifié et parodié, indissolublement. On pourrait imaginer pour Dévastation une mise en scène de tragédie antique ou d’opéra et une autre proche de la farce — l’idéal étant de réussir à allier les deux.