« Elle vivait dans un monde différent du commun des mortels, un monde où
(Alan Bennett, extrait de l’Introduction)
Inspirée d’un épisode réel de la vie de l’auteur, The Lady in the Van – La Dame du fourgon raconte l’histoire de Miss Shepherd, une vieille clocharde mystique qui vit dans un vieux Bedford nauséabond dans le quartier d’Alan Bennett, dans le nord de Londres. Divers incidents (actes de malveillance, problèmes de stationnement) amènent Alan B. à l’héberger avec son fourgon dans son propre jardin. L’affaire de trois mois, pense-t-il naïvement. Sauf qu’elle y restera quinze ans… jusqu’à sa mort.
La pièce raconte par fragments la cohabitation cocasse, absurde, horripilante, de l’écrivain – qui s’est métaphoriquement partagé en deux – avec cette sexagénaire excentrique, ex-bonne sœur et pianiste, chef d’un parti politique imaginaire, fana de véhicules à roues depuis ses années de guerre en tant que conductrice d’ambulance…
La Dame du fourgon se présente en deux actes, les scènes s’enchaînant la plupart du temps les unes aux autres, tels des numéros de revue : le premier acte nous montre des moments de la vie de Miss Shepherd dans la rue, puis dans le jardin d’Alan B. ; le deuxième acte, bien des années plus tard, la période qui mène à sa mort et suivra sa disparition.
(Pour plus de détails, lire la traduction de l’Introduction par l’auteur à l’édition originale, qui se trouve en annexe à la fin de la pièce.)
Adaptée par Alan Bennett de son propre récit autobiographique paru sous forme d’article en 1989 dans la revue littéraire The London Review of Books puis dans son journal Writing Home (Faber and Faber, 1994), la pièce va bien au-delà d’une plaisante comédie psychologique évoquant les rapports de (difficile) voisinage, librement consenti, d’un « intellectuel de gauche » assez mal dans sa peau, avec une vieille clocharde excentrique et délirante.
Femme aux affirmations péremptoires, à la piété véhémente et aux projets extravagants d’animatrice de débats radiophoniques ou de candidate aux fonctions de Premier ministre, Miss Shepherd n’a rien de la clocharde urbaine traditionnelle. Elle s’imagine appartenir par essence à une communauté de femmes d’importance. Comme chez ces déficients cérébraux décrits par le Dr Sachs, elle fait preuve d’une capacité d’adaptation remarquable aux conditions matérielles les plus impossibles.
Le personnage de la mère d’Alan B – du même âge que Miss Shepherd et souffrant elle aussi de crises de délire – permet à l’auteur des comparaisons et des questionnements dérangeants. Car La Dame du fourgon est aussi une pièce sur Alan Bennett lui-même qui, tout en se dépatouillant avec les demandes ou les exigences de Miss Shepherd, se livre avec son « double » à des débats sur des sujets aussi sérieux que l’amoralité de la création artistique, la façon dont l’art se nourrit de la vie, ou encore les mobiles cachés de nos bonnes actions.
Quel est aujourd’hui notre regard sur les vieillards, les infirmes, les handicapés, les malades mentaux, voire les simples dépressifs ? Cette pièce nous invite avec beaucoup d’humour et de finesse à nous interroger sur ce que peut être la vie des laissés pour compte, des « restés en rade » de notre société ; et il est difficile de ne pas être étonné et admiratif devant ces vestiges de dignité humaine subsistant jusque dans la plus grande déchéance.
« Dans l’univers de Bennett, tout le monde est petit. Il n’y a pas de grands déploiements de courage ou d’esprit, ou de vigueur ; il n’y a pas non plus de cruauté énorme ni de sauvagerie, ni encore de projets de dominer le monde. Mais là, la petitesse n’est jamais un problème. Ce doit être parce que, sous l’oculaire de son microscope, tout paraît important. Dans sa mise au point miniature, le plus petit geste de gentillesse devient un très grand acte de charité, le plus court des silences peut être le plus cruel affront. Dans cette
Dominic Dromgoole