Le 4 mai 1961 paraît un décret du Soviet suprême « relatif à l’intensification de la lutte contre les personnes qui se soustraient au travail socialement utile et mènent une vie antisociale et parasite. » Le jeune poète Joseph Brodsky devient la victime toute désignée du régime qui le condamne en tant que « parasite social » au terme d’un des procès les plus grotesques de l’histoire de la littérature.
La pièce de Chen Li est le temps du procès entrelacé de flash-backs et de projections dans le futur permettant de retracer les moments importants de la vie et l'univers du poète.
En tant qu'écrivain vivant dans un pays partageant une histoire similaire à celle de la Russie, le poète et dramaturge chinois CHEN Li, mû par le même combat que le Russe Brodsky, écrit ici pour le théâtre un véritable plaidoyer contre le totalitarisme. La pièce est un hymne à la poésie – cet « accélérateur de conscience » – à la liberté et à la vie. Au tribunal, le poète répond à l'absurdité de l'accusation par le biais de ses créations poétiques. L'auteur centre sa pièce autour du quatuor : accusé, juge, procureur général et avocate de la défense. Les différents témoins appelés à la barre lors du procès historique ne sont pas ici convoqués. Pour étayer leur accusation, juge et procureur se mettent à parler des muses des poètes, de psychiatrie dite « scientifique » et de la place des juifs dans la société. Pour l'accusé Brodsky, les réponses ne sont jamais à chercher dans la vie mais bien dans la langue, et seule la poésie est à même d'exprimer la tragédie de l'existence.
« Brodsky atteint l’âge adulte à l’heure où les poètes sont à l’avant-garde du combat pour la renaissance morale ; à l’heure où l’on dit en U.R.S.S. que la révolution n’a pas tué l’antisémitisme ; à l’heure où les intellectuels revendiquent leur liberté face aux institutions et affirment que nul, sauf le créateur, n’a le droit de définir et de censurer la création. (…) La coïncidence absolue entre la destinée de Brodsky durant cette période - qui aboutira au camp de travaux forcés - et l’histoire de la lutte désespérée de l’intelligentsia soviétique pour renaître, est saisissante. » (Brodski ou le procès d’un poète Préface d’Hélène Carrère d’Encausse - Livre de poche Biblio essais n°4088 - 1988)