Que fait un jeune garçon lorsqu'il apprend que son frère, qui n’est pas encore né, sera handicapé ?
Kristo Šagor raconte une étape dans la vie de Patrick, à partir du moment où celui-ci se rend compte que son frère ne sera pas comme les autres et qu'il ne parlera peut-être jamais. Patrick tente de comprendre comment on apprend à parler tout en réfléchissant à son rapport au monde. A la fin, il aura beaucoup appris, surtout sur lui-même et sur ce qui pourra peut-être aider son frère.
Patrick, en écoutant aux portes les échanges nocturnes de ses parents, comprends qu’il va avoir un frère et que ce frère ne sera pas tout à fait normal. A partir des inquiétudes des parents, Patrick se forge ses propres questions et part à la recherche de solutions : si son futur frère ne peut pas apprendre à parler correctement, comment peut-il, lui, l'aider ?
Patrick va chercher de l’aide autour de lui, aupès de certains camarades de classes, qui le guident ensuite vers d’autres personnages pouvant lui apporter les informations qui lui manquent.
Les rencontres avec le monde des adultes sont passionnantes : les réponses à ses questions lui sont apportées par divers personnages qui sont tous d’une certaine manière, en marge de la société : étrangers, handicapés, intellectuels excentriques. Tous questionnent joliment la normalité et construisent différentes manières de faire partie de la société et de prendre part à l'existence.
Ce qui est très beau et très astucieux dans cette pièce, c'est qu'elle naisse du dialogue entre Patrick, le garçon et son frère qui n'est pas encore né. La complicité fraternelle, et la solidarité de Patrick avec son frère qui ne sera pas normal, est ici antérieure à sa naissance et le personnage du frère non encore existant aide Patrick a devenir lui-même.
Ce dialogue, ce face à face entre les deux garçons, nous conduit à travers les étapes de la quête de Patrick, et les deux garçons jouent alternativement tous les autres personnages qui interviennent dans l'histoire. En alternance, ils sont Valentin, l'ami de Patrick, le père, la mère, la potentielle sœur, le professeur Hansen, Danijel le grand ami de Patrick, le boxeur croate, le professeur Frau Schlepper, la femme aux légumes, le mystérieux "Professeur".
Théâtralement c’est assez jubilatoire car chaque comédien est donc tenu dans le jeu, d’avoir toujours à l’esprit les réactions de celui des deux frères qu’il incarne et celles du personnage extérieur auquel il prête voix. Les réactions sont parfois contradictoires car le personnage de départ (un des frères) ne perd jamais son intérêt de vue.
La pièce est donc finement construite. La langue est rapide, très rythmée, passant d’un langage très quotidien à des citations de Paul Celan, en passant par les difficultés rencontrées par les enfants immigrés pour apprendre la langue de leur pays d’accueil.
L'enchaînement rapide de répliques de personnages différents fait de Patrick truque du bon théâtre, très drôle, très slap-stick, avec des ruptures de ton, des choses très drôles et d’autres très profondes, et permet d’aborder des questions fondamentales de l’existence, au-delà du sujet, plutôt sérieux et triste, de l’arrivée d’un enfant handicapé dans une famille.
La force des thématiques, la finesse des réparties et la facilité de monter ce texte qui ne demandent pas de grands moyens mais seulement d’excellents acteurs nous font penser qu’il trouvera sa voie dans le paysage théâtral français pour la jeunesse.