Un cri du ciel

de Vincent Woods

Traduit de l'anglais par Isabelle Famchon

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Irlande
  • Titre original : A cry from heaven
  • Date d'écriture : 2004
  • Date de traduction : 2010

La pièce

  • Genre : Tragédie inspirée des anciennes épopées irlandaises.
  • Nombre d'actes et de scènes : 5 actes (3 scènes dans le 1 - 4 scènes dans le 2 - 5 scènes dans le 3 - 8 scènes dans le 4 - 5 scènes dans le 5).
  • Décors : multiples, différentes salles d'un château + extérieur (forêt)
  • Nombre de personnages :
    • 11 au total
    • 6 homme(s)
    • 5 femme(s)
  • Durée approximative : 2h30
  • Création :
    • Période : 2005
    • Lieu : Abbey Theatre, Dublin
  • Domaine : protégé : voir avec la traductrice

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

La pièce se déroule dans les temps mythologiques et obscurs du 5e siècle après J.C. où l'Irlande n'était qu'un agrégat de royaumes divisés : Ulster contre Connaught, Connaught contre Ulster, le sang, les armes, encore et toujours, jusqu'à la nausée, jusqu'au délire. Comment s'étonner d'ailleurs que de tels mythes aient la peau si dure dans un pays dont on ne connaît que trop bien l'histoire blessée ?

En tout cas, à l'intérieur même de ce royaume d'Ulster (où se situe la pièce et qui en constitue un des principaux enjeux), la division règne en maître féroce. Le roi Fergus avait en effet accepté de céder pendant un an le trône à Conor, fils d'un premier lit de son épouse Ness. Conor refusant de rendre le trône le temps venu, Fergus se voit contraint à l'exil. Dans l'intérêt de tous, au bout de cinq ans, il accepte pourtant de revenir et de consolider le pouvoir de Conor, roi faible, manigancier, qui tout seul ne réussit qu'à faire régner la discorde.

La réconciliation doit avoir lieu dans la forteresse d'Eamhain Macha, résidence des rois d'Ulster, lors d'une nuit de Samhain, importante fête celte, propice aux évènements magiques et mythiques en ce qu'elle abolit la frontière qui sépare le monde des vivants et l’au-delà.

Un pacte est effectivement scellé par un combat rituel entre le taureau blanc de la lumière et taureau noir des ténèbres, d'où le taureau blanc sort vainqueur, augurant bien de l'avenir. Tous se félicitent et s'apprêtent à festoyer lorsque des cris de douleur surnaturels interrompent réjouissances et libations.  C'est Deirdre, une petite fille, qui avant même de naître, crie ainsi. Elle semble d'ailleurs d'autant maléfique que sa mère meurt en couches. Chargé de  consulter les oracles, le devin Cathach est terrifié par l'accumulation de malheurs que la naissance de l'enfant maudite semble annoncer et l'on débat âprement de la nécessité de la mettre à mort.

Contre l'avis de presque tout le monde et surtout de sa féroce mère Ness, Conor décide pourtant d'épargner la vie de la fillette, et le temps venu, de l'épouser si elle s'avère aussi belle que dans les prédictions.

Deirdre ("le malheur" en gaélique) est donc élevée en recluse avec pour toute protection Leabharcham, sorte de mère éternelle, elle-même en mal d'amour, puisque son époux, le devin Cathach, lui encore, délaisse la couche nuptiale pour des amours masculines.

Déjà petite fille, Deirdre s'avère d'une beauté envoûtante et doit quotidiennement subir les attentions salaces de Conor qui espère se l'attacher en la couvrant de cadeaux. Elle doit également faire face à la malveillance acharnée de Ness, araignée fielleuse, sorte de Lady Macbeth à la mode irlandaise qui n'a besoin d'engager des sorcières pour lancer ses imprécations contre ses ennemis réels ou supposés, dont Deirdre fait partie.

Mais chaque nuit, l'espoir d'un ailleurs lumineux revient hanter Deirdre sous la forme d'un jeune homme qu'elle aperçoit en rêve, chasseur mythique à la noire chevelure de corbeau qui pourchasse la biche-femme qu'elle s'imagine être et l'entraîne vers une mort extatique. Aussi, lorsque Conor estime la belle enfant suffisamment adulte pour partager sa couche nuptiale, elle décide de fuir en quête de l'homme aperçu en rêve et dont Leabharcham lui apprend l'identité. Ô destins cruels, il s'agit, de Naoise, neveu de Conor et fils d'Usna que Conor et Ness poursuivent d'une haine implacable.

Au premier regard, les deux jeunes gens pensent se connaître de toute éternité et devoir s'aimer par-delà la mort. Pourtant, par crainte des représailles sanguinaires que la jalousie de Conor va immanquablement leur faire subir, les amants fuient au loin, aidés en cela par l'amour indéfectible des deux frères de Naoise, Ainle et Ardan. Dès lors les destins funestes annoncés par les oracles du Cathach vont se déchaîner, l'Ulster est effectivement menacé de ruine par les furieuses guerres intestines entre les partisans de Conor et les fidèles de l'infortunée lignée d'Usna (Naoise et ses frères) et de la non moins infortunée Deirdre.

Malheureusement, après des années d'errance dans les lointaines et peu hospitalières terres d'Écosse, les amants mythiques se laissent convaincre par les émissaires de Conor de revenir dans leur verdoyant pays dont ils se languissent. Mais le pardon annoncé n'était qu'un leurre, la forteresse d'Eamhain Macha où ils avaient été fallacieusement conviés à un festin est assiégée et Naoise et ses fidèles frères meurent au combat. Conor peut alors enfin posséder Deirdre et s'y emploie avec fureur. Dans son obsession, il parvient d'ailleurs à se persuader que l'enfant qu'elle porte est le sien et non celui de Naoise comme elle l'affirme. Lorsque l'enfant naît, Deirdre incapable de vivre sans sa "deuxième âme" qu'elle retrouve à chaque instant dans les traits du petit garçon, confie  celui-ci à Leabharcham, avant de se fracasser au bas de la forteresse d'Eamhain Macha.

Certes, Woods préserve tous les ingrédients de la celtitude mythologique: guerriers chevelus, druides prolixes, rois faillibles et reines sanguinaires, vieilles histoires dira-t-on, et vieilles lunes.

Mais en même temps, et c'est en cela qu'il diffère des autres auteurs qui ont relaté cette histoire, il s'inscrit dans une modernité où les femmes ne sont pas seulement des victimes. Sa Deirdre participe à son destin, elle fait des choix. Au bout du compte, son sort n'est pas tellement plus enviable que celui des Deirdre d'antan et elle sera rattrapée par la tragédie, mais du moins elle aura vécu, elle aura pris la parole, elle aura combattu les voix fatalistes des devins qui prétendaient inventer son monde. En cela, elle aura paradoxalement échappé à la fatalité et en quelque sorte à son auteur, ou pour être plus précis à son poète, qui ne demandait d'ailleurs qu'à la rendre libre.

(Isabelle Famchon)

Regard du traducteur

A Cry from Heaven est l'histoire de Deirdre - tout droit sortie des chroniques mythologiques irlandaises (Cycle d'Ulster dit "Cycle de la Branche Rouge") - qui avait déjà inspiré de nombreux auteurs et non des moindres (Deirdre de Yeats, Deirdre des Douleurs de Synge).

Aux dires de certains, c'est une histoire d'amour tragique "presque aussi ancienne et non moins belle que l'histoire d'Hélène de Sparte" et qui en tout cas est restée chère au cœur des Irlandais lesquels voient volontiers dans le  personnage blessé de Deirdre une métaphore de l'Irlande.

Mais, au-delà de l'histoire (voir résumé ci-joint), voilà ce qui m'attache à vouloir traduire cette pièce:

- Une évidente fidélité personnelle à Vincent que j'accompagne depuis trop longtemps en demi-teinte alors que je le tiens pour un auteur considérable, opinion d'ailleurs partagée par nombre de ses confrères en Irlande (par exemple Frank McGuiness).

- Mais surtout un goût  prononcé pour son langage qui, pour se décliner différemment (avec plus ou moins d'irlandicismes) au fil des pièces et des sujets, demeure un langage puissant, du genre "lyrique couillu" si j'ose dire, et en même temps très subtil, aérien parfois, et de toute façon très musical.

- Sa manière de défendre contre vents et marées un théâtre poétique (poésie des mots et poésie visuelle) qui, pour être dans le droit-fil d'une certaine tradition irlandaise, n'en n'est pas moins passablement tenu en mépris par une bonne part de la nouvelle Irlande, très friande de textes réalistes, parfois à peine démarqués de l'écriture télévisuelle ou cinématographique. N'oublions pas d'ailleurs que, paradoxalement, nombre d'auteurs dramatiques irlandais de renom ne doivent actuellement leur survie (financière et artistique) qu'au soutien de théâtres ou de troupes en Angleterre.

- Aussi sa manière assez novatrice et contemporaine de raconter cette histoire qui, dans la tradition, était avant tout une histoire de guerre entre mâles héroïques et où les femmes, l'héroïne en particulier,n'intervenaient qu'en tant que figurantes, jouets du désir des hommes, et éternellement victimes. Ici, et en cela Vincent s'avère délibérément  et tendrement féministe, elles prennent une part active dans leur destin, elles agissent, elles se battent, elles aiment comme elles l'entendent. Et dans la belle tradition du théâtre irlandais, essentiellement masculin, cela n'est pas pour me déplaire, bien au contraire. (Isabelle Famchon)