Une histoire inachevée

de Artur Pałyga

Traduit du polonais par Monika Próchniewicz et Sarah Cillaire

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Pologne
  • Titre original : Nieskończona historia
  • Date d'écriture : 2010
  • Date de traduction : 2019

La pièce

  • Genre : tragi-comédie
  • Nombre d'actes et de scènes : 3 actes + l’Ouverture. Acte I : 12 scènes, acte II : 8 scènes, acte III : 8 scènes
  • Décors : Décor d’intérieur (ordinateur, lampe, lit, table, tabouret, lavabo, fenêtre, appareils ménagers...)
  • Nombre de personnages :
    • 29 au total
    • 15 homme(s)
    • 9 femme(s)
    • Certains personnages incarnent les objets inanimés, il est difficile à dire s’ils sont féminins ou masculins. La plupart de scènes se déroulent entre deux ou trois personnages, il y a aussi plusieurs scènes avec un seul personnage.
  • Durée approximative : 100 mn
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Dans l’immeuble d’une ville inconnue, une vieille dame, Aniela Dąbkowa, se rend à la messe et s’inquiète de l’absence inhabituelle de sa voisine, Wiktoria Dworniczkowa, une autre vieille dame. Son inquiétude est justifiée : Wiktoria est morte subitement la nuit précédente dans son appartement, à la suite d’une chute. L’action se situe la journée de sa mort, depuis le petit matin où l’on remarque son absence à la messe jusqu’au soir où son corps est amené par l’employé des pompes funèbres. La pièce donne essentiellement à voir les réactions des habitants de l’immeuble : Aniela, bien sûr, qui était son amie, mais également les autres voisins, que l’on voit une première fois au réveil, suspendus entre leur vie intime et les rôles sociaux qu’ils s’apprêtent à endosser. Parmi eux se trouvent Magda, une jeune femme enceinte qui s’inquiète pour son bébé, Adam et Tomasz, submergés par la routine de leurs vies, Pawel et Jakub, perdus dans leurs rêves érotiques, Andrzej, chauffeur d’ambulance, dialoguant avec Dieu en personne et inventeur d’un système obsessionnel qu’il applique à ses courses, Judyta, lycéenne qui sèche l’école pour lire son journal intime au prêtre, Piotr, se débattant avec son désir pour elle, et plusieurs autres personnages (conformément à la didascalie initiale, il y en a une trentaine, mais selon l’indication de l’auteur, la pièce peut être jouée par 3 femmes et 2 hommes). Les personnages portent des prénoms à connotation biblique, ce qui souligne la place de la religion, vue parfois de façon ironique, mais vécue par les personnages comme un réel vecteur social.

Regard du traducteur

La structure de la pièce rappelle un diaporama, une suite d’images qui concernent tous les habitants d’un même immeuble, connectées entre elles par l’unité de lieu. À la façon de Perec dans La Vie, mode d’emploi, l’immeuble de Pałyga devient un prétexte pour se pencher un instant sur chacune de ces vies minuscules, traversées toutes par des difficultés quotidiennes (maladie, obsession, tensions sexuelles, sentiments de culpabilité, soif de mysticisme, solitude, monotonie). Cette « histoire » est « inachevée », mais elle n’a pas de début non plus : la mort de Wiktoria offre l’occasion de jeter un œil sur la vie de ses voisins comme pour la mettre en exergue mais seulement durant le temps bref de la représentation. Le regard de l’auteur sur ses personnages est dépourvu de condescendance : même si parfois la dissonance entre leur langue figée (dans le rite religieux ou dans leur propre « système » de survie) et la situation représentée est ironique, la vision des personnages ne se limite jamais à cette ironie. C’est peut-être là la marque de fabrique de Pałyga : quel que soit le handicap, médical ou social, qui touche ses personnages, il n’est jamais dans le jugement, mais fait preuve de patience, de pudeur et d’impartialité. Une autre particularité de la pièce est de faire parler les objets. L’existence humaine est fragile, éphémère et incertaine. L’existence des objets est fiable, inébranlable. Les objets survivent à tout. Ils forment des paysages sentimentaux, des natures mortes, les intérieurs dans lesquels les êtres séjournent en attendant mieux, ils se parlent à eux-mêmes, hibernent. Même s’il arrive parfois aux personnages de Une histoire inachevée de dialoguer avec quelqu’un, de jouir ou de mourir, il est difficile de parler d’action au sens théâtral. Ce sont des fragments, des bouts de conversations et de vies. L’histoire se perd. Parmi les monologues se glissent des notes privées, des citations de journaux intimes, des petites annonces, des extraits de la Bible. Le texte de la pièce est une sorte de collage de tous ces éléments et plus encore : la transcription de tchats Internet, de rêves, de voix radiophoniques. La radio, le calendrier, le morceau de journal figurent dans la liste des personnages de même que les prêtres, les policiers, le chœur ou Gilgamesh. Mais la forme quelque peu expérimentale de la pièce n’est pas au service de prétentions « postmodernes », au contraire, elle confronte une réalité banale aux bribes d’une culture faite aussi bien de rites immémoriaux et d’images pieuses que de chansons populaires, de musique classique ou de supports technologiques. C’est la langue qui révèle les obsessions et les frustrations des personnages et qui illustre, non sans humour, les contrastes dans lesquels ils vivent : par exemple litanie de la messe d’un côté, tchats érotiques de l’autre. L’auteur a pris soin de donner à chacun une voix qui lui soit propre : ainsi, Adam l’obsessionnel élabore des phrases complexes, analytiques, répétitives alors que Jacub, en pleine rêverie, ne peut prononcer le mot « éjaculation » tant il a honte de ses pensées et, possiblement, de ses actes. Tout au long de la pièce, le quotidien voisine avec des préoccupations métaphysiques, le grotesque avec le sacré. En sacrifiant la mécanique de la trame proprement dite mais en suivant ses personnages pas à pas pour donner à voir des instantanés de leur humanité, Pałyga fait preuve d’une grande habileté dans le choix du montage : progressivement des émotions affleurent, comme si la mort de l’un d’entre eux poussait chaque habitant à questionner en lui la part la plus intime. Si les références renvoient directement à la Pologne contemporaine, les habitants anonymes de cet immeuble trouvent par là une dimension universelle.