Un homme d'une trentaine d'années, narrateur en l’occurrence, revient dans la ville peu glamoureuse où il est né et où il a passé son enfance et son adolescence. Il s'y sent étranger mais il faut dire qu'il ne s'y est jamais trouvé bien. Son meilleur ami Mirko est atteint d'une maladie étrange : couché, les yeux ouverts, il ne bouge pas, ne parle pas, ne réagit à rien. Les médecins n'y ont trouvé aucune raison somatique. Il est donc déclaré "fou". Nora, la femme de Mirko, dont le narrateur a été jadis amoureux, s'occupe du malade. Elle est enceinte. La petite cité elle-même est malade. Elle ne se retrouve pas dans l’évolution du monde moderne. L'usine d'arômes chimiques qui, depuis des années, licencie de plus en plus d'ouvriers, est en train de fermer. Pendant ce temps, on construit une autoroute...
Les habitants de la ville voient la présence du narrateur d'un mauvais œil. Il s'est toujours senti différent et, enfant comme adolescent, il a subi bien des violences de la part de ses camarades. S'il craignait ses congénères à l'époque, il les retrouve aujourd'hui à l'état d'épaves, ivrognes sans avenir. Et pourtant, à l'enterrement d'une jeune femme qui s'est suicidée, ses anciens copains commencent à l'agresser et à le tabasser. Nora empêche que le pire ne se produise en criant qu'il était le seul à l'aider et à s'occuper de Mirko, tandis que tous les autres « bons amis » la laissaient seule.
En dépit de son propre malaise et de l'atmosphère malsaine, le narrateur reste dans cette ville auprès de Nora, retenu par un mélange de désir et de culpabilité – car si la petite cité est bradée, il en profite aussi. Apparemment, il s'est enrichi pendant son absence puisqu'il fait des cadeaux coûteux à Nora. Pourtant, un jour une dispute violente éclate entre eux. On a mis Nora au courant des trafics du narrateur. Le lecteur/spectateur n'apprend pas de quoi il s'agit exactement, mais il peut soupçonner que le narrateur a réalisé des affaires foncières et immobilières. Toujours est-il que Nora l’accuse d'avoir vendu la ville et tous ses habitants… Pendant la dispute, elle fait une mauvaise chute dans l'escalier. Dans son état de grossesse avancée, il s'agit d'un accident grave qui exige une hospitalisation. Le narrateur promet de s'occuper de son ami malade. Or il l'emmène jusqu’à un silo au milieu de la forêt, là où il a vu son ami pour la première fois, il y a des années. Il le jette dans le silo et l'y enterre vivant.
« La nouvelle œuvre de Nis-Momme Stockmann », écrit l'éditeur, « est une épopée néo-romantique, dans laquelle un moi déchiré chancèle entre l'accusation de soi-même et du monde. Stockmann y dévoile, apparemment en passant, des situations et des contraintes allemandes ».
Cette pièce est un récit entrecoupé de courts dialogues avec des personnages réels tels Nora et d'autres, des figures allégoriques comme la ville qui, dès le début de l'œuvre, demande au narrateur pourquoi il revient, ainsi que des personnages de conte tels l’enfant géant. Les hésitations, le manque d'assurance, voire le manque d'amour propre combinés à un sentiment de supériorité par rapport aux habitants de la petite ville de province, créent d'emblée une atmosphère malsaine et lourde, un monde sans confiance dans un quelconque avenir. On est aspiré vers un état dépressif, un vide, dans lequel humour et ironie caustique ont pourtant leur place.
Le récit du séjour du narrateur dans la petite ville suit la ligne chronologique des événements, mais elle est entrecoupée de moments où il se rappelle certaines scènes de sa jeunesse. Par moments, il y a aussi des rêves. Ainsi la scène finale, celle du meurtre de son ami n'est pas indiquée comme étant un cauchemar mais peut aisément être interprétée comme tel puisqu'on n'imagine pas le narrateur capable d'agir - surtout pas de cette manière.
Nis-Momme Stockmann maîtrise non seulement le récit, mais son écriture donne à des phrases apparemment banales des dimensions menaçantes ou comiques pour s'aventurer à d'autres moments dans une poésie de belle facture.
Stockmann passe dans cette pièce du récit (dans une langue plutôt classique, parfois compliquée, très riche en adjectifs, adverbes et compléments) à des dialogues en langage courant ponctués d’expressions dialectales pour ensuite passer par du lyrisme de conte (p. ex. son rêve du « jouet des géants », sans doute inspiré de la légende alsacienne et du fameux poème d’Adalbert von Chamisso) ou se tourner ensuite vers des dialogues entre des personnages allégoriques tels la ville et le protagoniste ou l’âme et le corps, jusqu’à utiliser le langage « intello » des jeunes loubards Björn le Mob et Don Chacko, sans oublier le vocabulaire limité du discours répétitif du vieux Trullmann. Et tout au long de la pièce, il y a une fine ironie, un humour qui s’expriment justement par le choix très recherché des mots, des formules et des constructions de phrases – pour les traducteurs, de quoi se creuser la cervelle avec délice !