Une histoire métaphorique d’une cité de morts-vivants où le temps, l’énergie et le bonheur n’existent pas, jusqu’au moment où une femme tombe enceinte. La société, bouleversée par ce fait inouï et les changements qu’il induit, tente, de toutes ses forces, d’empêcher la naissance.
La mère de l’héroïne veut la convaincre que cette naissance est impossible, pourtant la femme entend, dans son ventre, le battement du cœur de son futur enfant et le fait écouter au père, qui reste incrédule. L’enfant commence à faire irruption dans le récit avec un monologue auto-fictionnel, décrivant son futur et âpre quotidien avec sa mère qui, pour l’adapter à la vie dans cette société, le privera d’amour et de tendresse.
Le père, qui cherche à revenir à sa routine, redoute tout changement et veut inciter sa femme à avorter pour lui épargner le courroux des habitants. Le père visite l’horloger, qui constate que les montres jusqu’ici immobiles démarrent le décompte du temps et que cette future naissance apporte des changements à leur univers, y introduisant un souffle de vie et de mouvement.
Les habitants de la cité des morts perçoivent ces changements comme une catastrophe, et multiplient les pressions sur la mère. Le conseil des citoyens tient un vote pour décider de son sort, et les seules options envisagées sont la mise à mort de l’enfant ou l’exil de la mère.
Dans sa nouvelle pièce, Zoukhra Yanikova, remarquée dans de nombreux concours de dramaturgie russophone contemporaine lors de ces dernières années, reprend certains thèmes centraux de ses œuvres précédentes : les harcèlements au sein de la famille, le sectarisme religieux, l’absence d’un parent, le poids du patriarcat dans les relations sociales et la violence qui en découle.
Confrontés à une censure omniprésente, bâillonnés par le pouvoir, les artistes ont de plus en plus recours aux récits allégoriques et fantastiques, en contrepoids aux tentatives des dirigeants russes d’instrumentaliser et de pervertir l’Histoire. Cet univers où le temps est littéralement inexistant et qui n’apparaît, au premier abord, que comme une métaphore, traduit en fait les tentatives de soustraire la Russie à la course progressiste du temps, de la figer dans ses prétendues « valeurs traditionnelles ».
Est-il possible de résister face à toute une société qui est contre toi ? Est-il possible d’échapper aux normes mortifères si on habite dans un monde de morts ? Dans quelle mesure peut-on réussir à ne plus transmettre les principes d’insensibilité et de brutalité apprises dès l’enfance ? Le texte de Yanikova mêle le lyrique et le narratif, l’action dramatique et l’incantation auto-thérapeutique, pour créer un récit fractionné et poignant sur la violence dont la société est imbibée.