Glorinha est une adolescente de 16 ans. Orpheline, elle a été élevée par son oncle Raoul qui la surveille et qui exerce sur elle une emprise maladive pour préserver sa chasteté. Elle demande à une amie du collège, Naïr, de la conduire dans une maison close de luxe gérée par Madame Luba. C’est à cet endroit que des hommes politiques viennent fréquenter des jeunes filles mineures. Un des clients réguliers de Mme Luba, le vieux député Jubileu de Prata, devient le client régulier de Glorinha. Raoul, découvrant cette vie cachée, la force à retrouver sa pureté en révélant de terribles secrets sur son passé, notamment liés à sa mère. La jeune fille se vengera de lui à la fin de la pièce. Elle retrouvera ainsi ses libertés de femme jusque-là prisonnières de la tyrannie et de la domination masculine.
Le personnage central de la pièce est, sans conteste, l’oncle Raoul. Au cours des trois actes qui composent la pièce, il se révèle tantôt figure paternelle charismatique, tantôt tortionnaire à la recherche d’un idéal féminin totalement obsessionnel et destructeur.
La modernité de Pardonne moi de me trahir réside dans le mélange de différents styles. Rodrigues fait se côtoyer le banal et le lyrisme, l’humour et le tragique.
Glorinha vit une tragédie. Elle est une femme bridée, surveillée. Une vie où toute joie est éteinte. Son oncle empêche son désir. Elle est une figure contemporaine de la femme humiliée. Elle est aussi une guerrière qui réussira à ne plus se soumettre au joug de son oncle. En écho inversé à cet âpre combat, Rodrigues multiplie les traits d’humour, les personnages truculents et savoureux :
Un vieux député qui ne peut jouir qu’en récitant une leçon de physique, la vulgarité généreuse de Mme Luba ou encore ce personnage étonnant de Odete qui répète en boucle : « c’est l’heure de l’homéopathie ».
Nelson Rodrigues mélange aussi les différentes temporalités : il utilise le code du flashback pour mieux nouer ses personnages à leur inconscient. Rodrigues confronte aussi une imagerie populaire (par exemple les scènes du bordel) à un genre plus noble, celui de la tragédie (surtout dans le troisième acte). Il en utilise tous les codes : les personnages sont guidés par leurs pulsions sexuelles, par leurs passions. Il existe aussi une certaine fatalité de leurs destins, comme des malédictions. Chaque personnage représente une entité obsessionnelle propre : le désir interdit, la famille, la morale, l’espoir. En mêlant ces deux éléments l’auteur progresse inexorablement vers un dénouement qui introduit un événement inattendu et plutôt mélodramatique. Une « révélation finale » provoque un volte-face dans l’expectative construite par la pièce, en introduisant un élément, sinon invraisemblable, du moins non préparé dramaturgiquement de manière efficace. C’est un moyen pour l’auteur de mêler code tragique et code mélodramatique, teinté d’humour noir, pour éviter toute complaisance et permettre à la mise en scène d’échapper au réalisme.
La cellule familiale : La femme figure de liberté
Rodrigues, notamment à travers le personnage de l’oncle Raoul, dénonce l’hypocrisie et les non dits de la cellule familiale. La famille est vraiment le terrain d’expérimentation de la dramaturgie Rodriguienne. Dès les premières scènes la peur qu’inspire l’oncle Raoul à Glorinha est suspecte. Elle a peur, ne parle que de lui. Et pourtant, elle exprime cette crainte dans le premier endroit de l’interdit : un bordel. Glorinha, bien que très jeune, est toujours à la limite. Elle semble toujours vouloir sortir du cadre imposé. Elle nous apparait prisonnière, mais elle se révélera au fur et à mesure de l’avancée de la pièce plus maîtresse de son destin qu’il n’y paraît.
La saveur de la pièce se situe à cet endroit : nous voyons Glorinha lutter, parfois sans le savoir, contre la domination masculine, contre l’injonction qui lui est faite de ne pas disposer de son corps. Elle va petit à petit, comme un instinct de survie, faire le contraire de ce que veut son oncle. Par là même, elle vengera sa mère, une autre génération qui n’a pas su résister, et elle vengera son père, fou, mis au ban de la société car trop tendre et trop amoureux.