Any Given Day (Un jour ou l’autre) est un diptyque porté par deux styles d’écriture. Ces deux pièces mettent en scène deux mondes différents dont les protagonistes ne se croisent pas et dont la connexion n’apparaît qu’à la toute fin.
Le premier univers est celui d’un couple de déficients mentaux, unis peut-être par un certain désengagement des services sociaux. Accrochés l’un à l’autre, partageant leurs peurs mais aussi leurs minuscules bonheurs, ils vivent seuls en logement social depuis que l’institut spécialisé qui les accueillait a fermé. Isolés dans leurs routines compulsives et cocasses, dans l’attente de “la” visite hebdomadaire de leur nièce, ils se sentent cernés par la menace de l’extérieur.
Terrifiée par le dehors, l’imprévu, le téléphone... Bertha s’accroche à de minuscules rituels. Son rapport plus qu’improbable aux objets et au temps la rend entièrement dépendante de Bill, son compagnon. Celui-ci gère leur quotidien, alternant railleries et réconfort, jouant l’homme fort. Mais il ne sera pas là pour la protéger au moment où l’extérieur fera irruption de la façon la plus violente.
De l’autre côté de la ville, dans un bar à vin à la fin du service de midi, le patron transmet à sa serveuse un message téléphonique de son fils borderline dont elle est sans nouvelles depuis cinq ans. Le patron qui espère profiter de son émotion, ouvre une bonne bouteille et lui propose une escapade au bord de la mer pour fêter ça. S’ensuit un échange verbal cru où alternent confidences et jeu de séduction.
Jackie, la serveuse, a abandonné son ancien métier d’infirmière après la rupture avec son fils. Elle ne se sentait plus les ressources de s’occuper des autres et, en quête d’un travail dénué de responsabilités, elle a atterri dans ce bar. D’abord déconcerté par la verdeur des réparties de Jackie à ses avances, Dave, le patron du bar, tout en se dévoilant seul, fragile et sentimental, persiste dans sa conquête. Jackie finit par se laisser séduire par l’idée d’une escapade, et laisse un message à son oncle en s’excusant d’annuler sa visite hebdomadaire, inconsciente du drame qui se joue ou s’est joué en son absence.
Linda Mclean interroge des parcours d’hommes et de femmes souvent brisés, les laissés-pour-compte de la société ou les « inaptes » en tous genres fracassés par des drames intimes.
Ce qui nous séduit particulièrement dans son écriture, c’est qu’il s’agit d’un théâtre actuel, engagé, en prise avec la réalité et les problèmes sociaux (ici, le déclin du système psychiatrique en Grande-Bretagne) mais transcendé par une écriture très serrée, non dénuée d’humour, à la construction quasi poétique et musicale.
Il y a dans cette pièce une juxtaposition de deux styles d’écriture. Dans le premier tableau, un dénuement rendu par des phrases très courtes, très épurées, au vocabulaire minimaliste, au rythme très particulier, et pour le deuxième, un parler direct, une joute verbale brute et triviale.
En empathie totale avec ses personnages, Linda McLean procède par légères touches impressionnistes, effleurant plutôt qu’appuyant, jamais ne jugeant. On devine souvent plutôt qu’on ne comprend certains drames passés ou à venir.
Elle amène le spectateur vers une appréhension plus sensorielle et intime qu’intellectuelle des situations.